
La bataille de San Jacinto, événement clé de la Révolution texane de 1836, est souvent célébrée comme une lutte héroïque pour la liberté. Pourtant, cette commémoration dissimule des réalités complexes : la défense de l’esclavage, la marginalisation des Tejanos (Texans d’origine hispanique) et une mémoire collective sélective, incarnée par le monument de San Jacinto. Ce dernier, érigé entre 1936 et 1939, reflète une vision biaisée de l’histoire, exaltant le nationalisme texan tout en occultant des aspects cruciaux du passé. Le monument de San Jacinto incarne une mémoire collective façonnée par des récits mythifiés. Selon Pierre Nora, les lieux de mémoire participent à la construction identitaire en valorisant des traits tels que l’unité et la bravoure. Ici, le monument célèbre la victoire des Texans sur les Mexicains, symbolisant la quête d’indépendance du Texas. Cependant, cette commémoration glorifie unilatéralement le rôle des Anglo-Américains tout en minimisant des éléments essentiels tels que la lutte pour préserver l’esclavage et la marginalisation des populations hispaniques et autochtones.
La bataille de San Jacinto doit être replacée dans son contexte historique pour en comprendre les implications. Suite au traité Adams-Onís de 1819, le Mexique avait encouragé l’installation d’Américains au Texas. Cependant, ces colons, majoritairement originaires d’États esclavagistes, importèrent l’esclavage pour développer la culture du coton. Lorsque le Mexique abolit l’esclavage en 1829, les tensions s’intensifièrent, culminant avec la déclaration d’indépendance du Texas en 1836, accompagnée d’une constitution pro-esclavagiste. La victoire des Texans à San Jacinto permit d’instaurer une république indépendante, mais elle était profondément ancrée dans la défense de l’esclavage. En effet, entre 1825 et 1864, le nombre d’esclaves au Texas augmenta de manière exponentielle, passant de 450 à 275 000, témoignant de l’importance économique de cette institution dans la région.
Parmi les victimes des récits simplifiés de la Révolution texane figurent les Tejanos. Ces Texans d’origine hispanique, présents dans la région depuis près de 150 ans, jouèrent un rôle significatif dans la lutte pour l’indépendance, avec environ un soldat sur six dans l’armée texane issu de leurs rangs. Ils espéraient que la révolution apporterait des réformes politiques et économiques favorables. Cependant, après la victoire, les Tejanos furent marginalisés. Les nouveaux dirigeants texans, en quête de terres et de domination raciale, procédèrent à une appropriation systématique des biens des Tejanos et les exclurent progressivement de la société. Aujourd’hui, le monument de San Jacinto ne rend pas hommage à leurs contributions, perpétuant ainsi leur invisibilité dans la mémoire officielle.
Le monument de San Jacinto reflète les fractures mémorielles qui divisent encore le Texas. Pour les nationalistes texans, il incarne la bravoure et l’indépendance, exaltant une victoire militaire décisive. Pour d’autres, notamment les descendants de Tejanos et d’esclaves afro-américains, ce lieu symbolise une mémoire sélective qui efface leurs contributions et renforce des récits biaisés. Cette vision partielle de l’histoire nourrit les tensions sociales et raciales au Texas. La glorification de figures héroïques anglo-américaines, combinée à l’occultation des rôles joués par d’autres communautés, empêche une véritable réconciliation mémorielle. Revisiter l’histoire de la bataille de San Jacinto et de son monument offre une opportunité de construire une mémoire collective plus inclusive. Cela implique de reconnaître les injustices subies par les Tejanos et les Afro-Américains, ainsi que de replacer l’esclavage au centre de l’analyse historique. Une telle démarche pourrait passer par une réinterprétation des lieux de mémoire, en intégrant des plaques explicatives ou des expositions mettant en lumière les contributions des Tejanos et la réalité de l’esclavage. Cette approche permettrait non seulement de rendre justice aux communautés marginalisées, mais aussi d’offrir une perspective plus complète et honnête sur l’histoire du Texas.
In fine, le monument de San Jacinto illustre les dangers d’une mémoire collective partiale. En occultant des vérités historiques essentielles, il alimente les divisions sociales et perpétue des mythes qui nuisent à la compréhension du passé. Une approche plus inclusive contribuerait à une société texane plus unie et consciente de ses véritables origines.
Léa Ptak et Eva Silva Magno
Informations :
Auteur.e.s : PTAK Léa et SILVA MAGNO Eva
Année d’écriture : 2024
Contexte d’écriture : Article rédigé dans le cadre du cours “Nations, nationalismes et identités” à Sciences Po Strasbourg
Langue d’écriture : Français
Les sources de cet article peuvent être fournis sur demande à l’adresse mail suivante : negopolisnei@gmail.com
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
NegoPolis (6 décembre 2024). La bataille de San Jacinto et son monument : entre glorification nationale et mémoire sélective. Études des Relations Internationales et du Global (ERIG). Consulté le 17 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12uxe